Garantie décennale des désordres futurs : la certitude du dommage ne suffit pas, encore faut-il déterminer quand le dommage acquerra un caractère décennal

Les dommages « futurs » sont indemnisables au titre de la garantie décennale même s’ils n’ont pas atteint dans le délai de 10 ans la gravité décennale, dès lors qu’ils doivent, de manière certaine, atteindre ce degré de gravité par la suite.

Dans la fameuse décision Commune de Parnes, le Conseil d’Etat jugeait « qu’il résulte des principes dont s’inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil, que des dommages apparus dans le délai d’épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale, même s’ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l’expiration du délai de dix ans » (CE, Commune de Parnes, 31 mai 2010, N° 317006).

Ainsi, devant le juge administratif, une personne publique peut prétendre, au titre de la garantie décennale, à être indemnisée de dommages futurs si ceux-ci sont apparus dans le délai de 10 ans et qu’ils sont de nature à compromettre la solidité de l’ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible.

Cette notion de délai prévisible peut poser problème notamment du fait de son ambivalence : faut-il « grossièrement » se contenter de faire état d’un délai, par exemple, en demandant à un Expert de préciser dans son rapport final que la fissure entrainera un affaissement de l’immeuble dans un délai de 20, 50 ou 100 ans? A l’évidence non, le Juge administratif semble attendre de l’Expert qu’il précise un délai assez proche, généralement de quelques années : ainsi la Cour administrative d’appel de Nantes considère, dans un cas d’espèce, que bien que des « anomalies sont évolutives et devraient se poursuivre par des décollements plus généralisés », la garantie décennale ne peut pas jouer dès lors que « la date d’apparition de ces ultimes manifestations ne peut être précisée » (CAA Nantes, 5 octobre 2012, N° 10NT002119).

Même si d’autres juridictions semblent moins rigoureuses et se contentent, par exemple, d’exiger « un délai suffisamment prévisible » (CAA Douai, 20 octobre 2012, n°11DA01968), on est en droit de regretter cette notion et la conception restrictive qu’elle emporte de la garantie décennale des désordres futurs.

On est d’autant plus en droit de regretter cette notion de délai prévisible que l’Expert, qui ne saurait être pris pour « Mme Soleil », ne s’estimera pas, dans de nombreuses hypothèses, capable de déterminer ce délai, sans que cela ne signifie pour autant que la date à laquelle les désordres viendront rendre l’ouvrage impropre à sa destination est particulièrement lointaine.

Cette notion de délai prévisible pose donc de réels soucis aux personnes publiques, d’autant que, comme le soulignait le Rapporteur public BOULOUIS dans ses Conclusions prises sous la décision Commune de Parnes précitée, le Juge administratif n’applique pas la théorie des dommages intermédiaires qui, en droit privé, permet d’obtenir réparation des désordres mineurs affectant les ouvrages dans le délai décennal.

Les personnes publiques se trouvent donc dans une position inconfortable quant aux garanties qui s’offrent à elles en matière de construction, inconfort aggravé par cette notion de « délai prévisible », laquelle conduit à adopter une conception restrictive des dommages futurs.

Gabriel DURAND

Avocat à la Cour

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